vendredi 14 décembre 2012

La Bête humaine

Eh oui ! Cela fait presque un an que j'en ai parlé en disant que j'allais en parler rapidement. Il est donc bien temps de s'y mettre.
La Bête humaine, La Bête humaine, qu'est-ce donc ? La suite de La bombe humaine de Téléphone, une histoire de Loup-Garou, de vampire à la sauce fantastico-sciencefictionno-moderne ? Non, non, c'est encore mieux ! C'est un roman d'Emile Zola (mais nan, faites pas la tête, je vous jure ça vaut le coup), le 17eme de la saga des Rougon-Macquart. Oui, mais je sais bien, vu comme ça, c'est pas fou-fou. On lisait ça au collège, au lycée, après on devait se cogner une fiche de lecture pour Mme Bouquin-serré ou M. Intello-gaucho et c'était vraiment une purge. Alors pourquoi donc, maintenant qu'on s'en est sorti, on devrait retourner à la mine (c'est assez zolien comme image, je trouve).
Et bien, ça tombe bien que vous me le demandiez, je n'osais pas l'amorcer ! Je vais vous le dire en 3 points (comme d'habitude).

1) Justement parce qu'on n'est plus des ados. On l'oublie mais le pauvre Mimile n'écrivait pas à l'époque juste pour le plaisir d'en fait baver à des ados boutonneux, un peu bulot et arrogants. Il gagnerait tant à être lu plus tard. On trouvait ça barbant, ses descriptions ennuyeuses, ses histoires vieillottes, mais que pouvions-nous comprendre de la nature humaine du haut de nos 14-16 ans ? Évidemment avec un peu plus de bouteille on vit des sentiments plus nuancés, on découvre nombre d'émotions cachées sur le visage des autres, dans leurs gestuelles. On est prêt, enfin, à lire Zola et son cabinet d'êtres humains : "Dès une heure et demi, bien que la citation ne fût que pour deux heures, les Roubaud étaient là. [...] Tous les deux vêtus de noir, lui en redingote, elle en robe de soie, comme une dame, gardaient la gravité un peu lasse et chagrine d'un ménage qui a perdu un parent. Elle s'était assise sur une banquette, immobile, sans une parole, pendant que resté debout, les mains derrière le dos, il se promenait à pas lents devant elle. Mais, à chaque retour, leurs regards se rencontraient, et leur anxiété cachée passait alors, ainsi qu'une ombre, sur leurs faces muettes."

2) Parce qu'il s'y passe plein de choses et qu'il est toujours passionnant de se rendre compte que les aspirations, les réactions, les émotions des êtres des siècles précédents étaient au fond bien similaires aux nôtres. Parce qu'il y a de l'amour, de l'action, du drame et qu'avec La Bête humaine, on découvre que Zola peut être le roi de l'émotion forte et le maître du pathétique : "il avait arrêté Séverine, au moment où elle allait marcher sur un bras, coupé à l'épaule, encore vêtu d'une manche de drap bleu. Elle eut un recul d'horreur. Pourtant, elle ne reconnaissait pas la manche; c'était un bras inconnu, roulé là, d'un corps qu'on retrouverait autre part sans doute. Et elle en resta si tremblante, qu'elle en fut comme paralysée, pleurante debout, à regarder travailler les autres, incapable seulement d'enlever les éclats de vitre, où les mains se coupaient." Hein que Steven Spielberg et son début de Il faut sauver le soldat Ryan peuvent aller se rhabiller niveau trash ! Ou encore : "on avançait avec d'infinies précautions, chaque débris à enlever demandait des soins car on craignait d'achever les malheureux ensevelis, s'il se produisait des éboulements. Des blessés émergeaient du tas, engagés jusqu'à la poitrine, serrés là comme dans un étau, et hurlant. On travailla un quart d'heure à en délivrer un, qui ne se plaignait pas, d'une pâleur de linge, disant qu'il n'avait rien, qu'il ne souffrait de rien et, quand on l'eut sorti, il n'avait plus de jambes, il expira tout de suite, sans avoir su ni senti cette mutilation horrible, dans le saisissement de la peur. Toute une famille fut retirée d'une voiture de seconde, où le feu s'était mis : le père et la mère étaient blessés aux genoux, la grand-mère avait son bras cassé; mais eux non plus ne sentaient pas leur mal, sanglotant, appelant leur petite fille, disparue dans l'écrasement, une blondine de trois ans à peine, qu'on retrouva sous un lambeau de toiture, saine et sauve, la mine amusée et souriante. Une autre fillette, couverte de sang celle-ci, ses pauvres petites mains broyées, qu'on avait portées à l'écart, en attendant de découvrir ses parents, demeurait solitaire et inconnue, si étouffée, qu'elle ne disait pas un mot, la face seulement convulsée en un masque d'indicible terreur, dès qu'on l'approchait."

3) Parce que c'est un roman tout à fait dans l'air du temps. Il y est question de jalousie, de vénalité et... de tueur en série. Oui, ce cher Émile, précurseur des précurseurs  nous pond là un vrai livre sur la nature d'un tueur en série. Bien sûr, Freud n'était pas encore passé par là (ni Jung, ni Lacan et tous leurs potes) mais tout de même notre cher Mimile n'avait pas tout faux quand il entrait dans la tête du tueur (Émile Zola profiler, on aura tout lu sur ce blog, je vous jure). Cette plongée au cœur de la pulsion, dans l'intérieur de celui qui veut tuer, c'est bien à la sauce de nos obsessions actuelles et avec l'écriture de Zola en plus on ne va quand même pas bouder notre plaisir : "Malgré sa fatigue écrasante, une activité cérébrale prodigieuse le tenait vibrant, dévidant sans cesse le même écheveau d'idées. Chaque fois que, par un effort de volonté, il croyait glisser au sommeil, la même hantise recommençait, les mêmes images défilaient, éveillant les mêmes sensations. Et ce qui se déroulait ainsi, avec une régularité mécanique, pendant que ses yeux fixes et grands ouverts s'emplissaient d'ombre, c'était le meurtre, détail à détail. Toujours il renaissait, identique, envahissant, affolant. Le couteau entrait dans la gorge d'un choc sourd, le corps avait trois longues secousses, la vie s'en allait en un flot de sang tiède, un flot rouge qu'il croyait sentir lui couler sur les mains. Vingt fois, trente fois, le couteau entra, le corps s'agita. Cela devenait énorme, l'étouffait, débordait, faisait éclater la nuit. Oh ! donner un coup de couteau pareil, contenter ce lointain désir, savoir ce qu'on éprouve, goûter cette minute où l'on vit davantage que dans toute une existence !"

Je ne briserai pas le suspens parfait mis en place par Zola en vous révélant si notre aspirant tueur résistera ou cédera à ses pulsions. Je vous laisse également découvrir avec quelle beauté Émile peut nous conter la vie et la fin d'une locomotive plus humaine que certains êtres humains, les sentiments nobles d'une brave fille garde-barrière ou encore la monomanie implacable de son beau-père.

Bonne lecture à tous et à très vite !

2 commentaires:

  1. j'aimais bien Zola ado moi !!! faut dire que mon prof de français, c'était une sorte de Fola au masculin, qui vit et fait vivre tout ce qu'il dit. Donc pour nous, l'Assommoir, entre autres, n'avait pas du tout été assommant, ahaha !
    Par contre, je n'ai jamais été inspirée par la Bête humaine, mais finalement, je crois que je suis prête ! ce sera pour après un certain "Oscar et la dame ros" que je viens de recevoir ;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ok j'avoue Aurélie, moi aussi j'aimais Zola ado, je me suis bouffée Au bonheur des dames à grande vitesse, nous sommes donc les exceptions qui confirment la règle mouarf ! Tiens, Oscar et la dame rose, je ne vois que quelqu'un de très bien pour t'offrir un tel livre !

      Supprimer

N'oubliez pas de signer, si vous postez en anonyme

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...